Présentation du colloque

En 2019, la Faculté de Médecine, Université Côte d’Azur, et le Centre d'Innovation du Partenariat avec les Patients et le Public (CI3P) ont organisé à Nice, le 1er colloque International sur le partenariat de soin avec les patients. Les deux jours consacrés à ce colloque ont été l’occasion de réaliser un état des lieux du partenariat en France mais également à l’international dans les pays principalement francophones.

Le partenariat reconsidère en profondeur la relation de soin avec les patients. Si la vision de rendre le patient acteur de sa santé est largement partagée, les modalités pour y parvenir n’en restent pas moins des sujets de controverses. Comme nous y invite Ghadiri, Flora et Pomey (2017), la lecture foucaldienne du « virage patient partenaire de soins » constitue une « reconfiguration de l’exercice du pouvoir médical et lutte pour de nouvelles subjectivités » (p.25). La place du patient partenaire au sein de l’équipe de soin comme des établissements et réseaux de santé, la professionnalisation du patient partenaire ressource/formateur/chercheur, l’approche « partenariat » versus approche « centrée sur le patient » sur laquelle se fonde l'Education Thérapeutique du Patient (ETP), le positionnement du représentant d’usagers et des associations de patients, sont ainsi quelques interrogations parmi d’autres que soulèvent la mise en œuvre du partenariat

Cette 2é édition vous propose d’interroger les avancées du partenariat de soin avec les patients et les proches aidants dans les milieux de soin, dans l’enseignement médical et paramédical, dans la recherche, dans l’organisation des établissements et des réseaux de santé tant de médecine de ville qu’hospitaliers, au sein des collectifs associatifs ou encore de citoyens, et dans les politiques de santé, au regard de la conduite et de l’accompagnement du changement.

C’est à partir de recherches empiriques, de propositions conceptuelles ou encore de propositions issues de pratiques professionnelles ou d’expériences de vie avec la maladie que ce colloque, ouvert à l’ensemble de la communauté scientifique, aux professionnels du système de santé (sanitaire et médico-social), aux patients, aux proches aidants, aux membres d’associations de patients, aux représentants des usagers et aux représentants institutionnels, ambitionne d’interroger la mise en œuvre du changement que représente le partenariat de soin avec les patients.

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Les modalités de traitement, les répercussions sur le mode de vie, la gravité des possibles complications, l’impact sur l’espérance de vie, mais aussi les transformations individuelles et collectives impliquées, exigent de la personne vivant avec la maladie chronique, « le maintien d’un pouvoir d’agir sur soi » (Tourette-Turgis, 2015, p.23). Vivant avec la maladie dans son quotidien, le patient et le proche aidant sont parties prenantes du projet de santé. Leurs vécus leur permettent d’acquérir des savoirs expérientiels, une vision autonormative de santé (Barrier, 2015). D’objet de soin, le patient devient « sujet en soin » (Tourette-Turgis, 2015).

À la suite de modèles proposant un continuum dans l’engagement des patients (Carman et al., 2013), Pomey et al. (2015) positionnent la perspective du partenariat de soin avec les patients « en considérant le patient comme un acteur de soins à part entière dont le statut de soignant repose sur une compétence de soins » (p.42). Une décision et des actes de soins de qualité sont issus de l’alliance de l’expertise clinique (connaissances scientifiques des professionnels de la santé) et de l’expertise patient (savoirs expérientiels des patients issus de la vie avec la maladie) : « il s’agit là d’une relation d’interdépendance dont la pleine compréhension permet de revoir comment considérer le traitement des maladies chroniques » (Ibid., p.43). L’une des modélisations proposées ancre ainsi « une vision du partenariat au niveau de la relation individuelle de soin (niveau micro), sur laquelle se structurent des interventions de soutien au partenariat au niveau des organisations de santé, d’enseignement et de recherche (niveau méso) et au niveau des organismes gouvernementaux responsables de l’élaboration des politiques publiques (niveau macro) » (Hervé, Stanton-Jean et Mamzer, 2017, p.15).

Ainsi, de nouvelles conceptions, de nouveaux modèles reconnaissant la place ou  laissant plus de place à la personne malade, appellent à un partenariat entre patients, proches aidants et professionnels du système de santé et suscitent de plus en plus d’intérêt auprès des institutions et réseaux de santé, des établissements de santé, des professionnels en santé, comme des associations de patients et des patients eux-mêmes.

Une recherche sur les représentations du partenariat de soin (Lartiguet et Saint-Jean, 2019), réalisée auprès d’acteurs impliqués dans le changement de la relation professionnel en santé - patient (patients, professionnels de santé, responsables institutionnels), a permis de proposer une caractérisation du changement que constitue le partenariat, véritable « innovation sociale » (Ghadiri, Flora et Pomey, 2017) :

- ce changement, en rupture avec la culture médicale paternaliste, modifie durablement et de manière irréversible la relation professionnel en santé - patient (notamment en reconnaissant le patient comme un soignant, c’est-à-dire un acteur de soin à part entière). En ce sens, il représente une « transformation significative » (Tilman et Ouali, 2001, p.15), un changement de niveau 3 par opposition au changement dans la continuité (Saint-Jean et Seddaoui, 2013).

- ce changement est imposé par le cadre sociétal (Guy, 2013) de notre système de santé actuel, et constitue un « changement paradigmatique des soins » (Borgès Da Silva, 2015). Il a pour enjeu la pérennité économique du système de santé ; il repositionne le patient comme sujet en soin dont « la maladie est une occasion d’apprentissage » (Tourette-Turgis, 2015) ; il se fonde sur la construction et la reconnaissance de leurs savoirs expérientiels (Jouet, Flora, et Las Vergnas, 2010).

Le changement peut se repérer sur les quatre axes identifiés par Marcel (2014) : ontologique, artéfactuel, épistémologique et praxique.

Le partenariat remet en perspective la relation de soi à l’Autre. Le professionnel en santé vise à abandonner sa fonction « apostolique » (Balint et Valabrega, 1960), pour une relation plus équilibrée avec le patient, en adoptant une nouvelle posture. La décision thérapeutique est partagée et co-construite. Outre la transformation identitaire professionnelle, voire personnelle, du clinicien, le partenariat de soin remet en perspective l’ancrage de l’identité professionnelle de l’ensemble des professionnels en santé.

Dans un même temps, les représentants d’associations de patients, traditionnellement engagés contre la pensée médicale (Flora, 2012), vont tenter d’évoluer dans leurs relations avec les professionnels en santé, pour tendre vers des approches complémentaires, susceptibles de favoriser le partenariat.

Les modes de fonctionnement, les règles, les normes, les valeurs et principes sont largement questionnés et leur hiérarchie discutée. Que ce soit pour renouveler le colloque singulier ou encore pour l’intégration du patient partenaire au sein des équipes de soin, de formation des professionnels en santé, de recherche, le partenariat requiert de faire évoluer les organisations voire les cadres juridiques, c’est-à-dire les structures et incitatifs qui déterminent de manière significative les comportements des professionnels en santé. Le seul sujet, quelque peu polémique, de la professionnalisation des patients partenaires peut être un réel exemple des bouleversements organisationnels que génère une telle évolution.

Avec pour perspective, l’efficience de la prise en soin de la personne vivant avec une maladie, le partenariat de soin, permettant la mutualisation des savoirs académiques et cliniques des professionnels en santé avec ceux du vécu avec la maladie, produit de nouveaux savoirs. La co-construction de la décision de soin engendre une nouvelle alliance thérapeutique. Nourrissant une relation professionnel en santé - patient sur un nouveau mode éthique, le partenariat est par ailleurs vecteur de sens pour les patients, les proches aidants comme pour les professionnels en santé : si pour les premiers, il peut améliorer la qualité de vie avec la maladie, il serait source d’amélioration de la qualité de vie au travail pour les seconds.

Enfin, l’ensemble de la pratique soignante est remis en cause par le partenariat. La pratique asymétrique du soin fait place à une pratique partenariale : la place du professionnel comme celle du patient sont remodelées.

« Let the patient revolution begin ; patients can improve healthcare : it’s time to take partnership seriously » [1], tel était le titre de l’éditorial du British Medical Journal, formulé par Richards, Montori, Godlee, Lapsley, et Paul (2013). En effet, le partenariat de soin avec le patient augure d’un changement paradigmatique ; l’évolution des identités professionnelles comme personnelles, des normes, des pratiques professionnelles, de l’élaboration des savoirs, la professionnalisation des patients et aidants partenaires en constituent les enjeux principaux.

Le partenariat, dont les fondements reposent sur la complémentarité des savoirs du patient, du proche aidant et des professionnels en santé, a pour objectif de rendre la personne actrice de ses soins si elle le souhaite. Il vient se confronter à la persistance de pensées sociales sur lesquelles s’ancrent nos systèmes de santé actuels :

- la pensée médicale organiciste (Le Breton, 2011), qui fonde la pensée scientifique caractérisée sous les traits de « l’Evidence based médecine »[2].

- la pensée militante des associations de patients qui peuvent être engagées dans une dynamique plus de confrontation avec le pouvoir médical (Flora, 2012).

- la pensée du patient, qui se conçoit comme un objet de soin et que peut symboliser la construction épistémologique et sociale du mot patient (Pierron, 2007).

- la pensée néo-libérale institutionnelle, qui vise un mode de pérennité économique du système de santé.

Si le partenariat peut difficilement s’inscrire dans une injonction au changement ou dans une conduite visant l’adhésion à un quelconque modèle, il semble bien qu’un accompagnement au changement visant une perspective « d’émancipation œcuménique» (Broussal, 2017, p.54) de l’ensemble des acteurs, afin de fertiliser le champ des possibles, soit le vecteur de l’évolution de la pensée médicale et plus largement celle des professionnels en santé, celle des associations de patients comme celle des patients et des proches aidants, celle des institutions de santé.



[1] "Que commence la révolution "patient" ; les patients peuvent améliorer le soin : il est temps de prendre le partenariat au sérieux" (traduction par nos soins).

[2] La médecine fondée sur les faits (ou médecine fondée sur les données probantes) se définit comme «l’utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures données disponibles pour la prise de décisions concernant les soins à prodiguer à chaque patient, [...] une pratique d'intégration de chaque expertise clinique aux meilleures données cliniques externes issues de recherches systématiques » (Sackett DL et al. (1996). « Evidence based medicine: what it is and what it isn't », BMJ, vol. 312, no 7023,‎ p. 71–2).

 

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BIBLIOGRAPHIE

Balint, M., et Valabrega, J.-P. (1960). Le médecin, son malade et la maladie. Paris : Presses Universitaires de France.

Barrier, P. (2015). La blessure et la force : La maladie et la relation de soin à l’épreuve de l’auto-normativité. Paris : Presses Universitaires de France.

Borgès Da Silva, G. (2015), « Maladies chroniques : vers un changement de paradigme des soins », Santé publique, Vol. 27, janv-fev., S1, pp.9-11.

Broussal, D. (2017). L'émancipation : approches conceptuelles. Dans Marcel, J-F., Broussal, D. (dir), Emancipation et recherche en éducation : Conditions de la rencontre entre science et militance. Vulaines-sur-Seine : Editions du Croquant.

Carman, K. L., Dardess, P., Maurer, M., Sofaer, S., Adams, K., Bechtel, C., et Sweeney, J. (2013). Patient and family engagement : A framework for understanding the elements and developing interventions and policies. Health Affairs, 32(2), 223–231.

Flora, L. (2012). Le patient formateur : élaboration théorique et  pratique d’un  nouveau  métier  de  la santé. Thèse de doctorat de sciences sociales, spécialité Sciences de l'éducation, Paris 8.

Ghadiri D. P. S., Flora L., Pomey M.-P. (2017)."Le virage patient partenaire de soins au Québec. Reconfiguration de l’exercice du pouvoir médical et lutte pour de nouvelles subjectivités. In "La participation des patients", Collection "Ethique biomédicale et normes juridiques", Paris : Editions Dalloz, pp. 25-36.

Guy, D. (2013). Le choix d’un cadre générique pour penser, observer et représenter la conduite et l’accompagnement du changement. Dans Bedin, V. (Dir.) Conduite et accompagnement du changement : contribution des sciences de l'éducation. Paris: L’Harmattan.

Hervé, C., Stanton-Jean, M., et Mamzer, M.-F. (2017). La participation des patients. Paris : Dalloz.

Jouet, E., Flora, L., et Las Vergnas, O. (2010). Construction et reconnaissance des savoirs expérientiels des patients. Pratiques de formation-Analyses, 58/59, 13-94.

Jouet, E. (2014). La reconnaissance des savoirs des malades : de l’émergence au fait social. Nouvelles                 coopérations réflexives en santé, de l’expérience des malades et des professionnels aux            partenariats de soins, de formation et de recherche, 10–20.

Lartiguet, P., et Saint-Jean, M. (2019, juillet 11). Analyse des représentations sociales et professionnelles du partenariat de soin : des repères pour la conduite du changement. Présenté à Colloque Santé, recherche, innovation, institution : un trinôme en perspective dans les formations aux métiers du soin, Toulouse, France, Université Toulouse 2 Jean Jaurès.

Le Breton, D. (2011). Anthropologie du corps et modernité. Paris, France : Presses Universitaires de France.

Marcel, J.-F. (2014). Lycées agricoles en changement. Educagri Editions.

Pierron, J.-P. (2007). Une nouvelle figure du patient ? Les transformations contemporaines de la          relation de soins. Sciences sociales et santé, 25(2), 43–66.

Pomey, M.-P., Flora, L., Karazivan, P., Dumez, V., Lebel, P., Vanier, M.-C.,… Jouet, E. (2015). Le « Montreal model » : Enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé. Santé publique, 1(HS), 41–50.

Richards, T., Montori, V. M., Godlee, F., Lapsley, P., et Paul, D. (2013). Let the patient revolution begin. BMJ, 346, f2614.

Saint-Jean, M., et Seddaoui, F. (2013). Le concept de « développement » en question dans l’approche des différents niveaux de changement. Conduite et accompagnement du changement. Contribution des sciences de l’éducation. Paris : L’Harmattan.

Tilman, F., et Ouali, N. (2001). Piloter un établissement scolaire : Lectures et stratégies de la conduite du changement à l’école. Louvain La Neuve : De Boeck Supérieur.

Tourette-Turgis, C. (2015). L’éducation thérapeutique du patient : La maladie comme occasion d’apprentissage.  Louvain La Neuve : De Boeck Supérieur.

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